Les lettres écrites par l'abbé Boyer prêtre conventuel de l'Ordre de Malte à la vie hésitant
entre scandale et malhonnêteté sont davantage des «nouvelles à la main» qu'une chronique de
l'Ordre de Malte au XVIIIe siècle. L'Ordre à cette époque n'était plus qu'un conservatoire
prébendé pour des cadets de familles nobles et des fils de juristes. Toutefois à la différence
des autres ordres il avait une aura sociale très importante et la croix octogone à ruban noir
valait toutes les autres décorations car tout comme aujourd'hui les grandes écoles le plus
difficile était de passer les sélections à l'entrée. Mais l'Ordre était aussi une principauté
de Méditerranée avec un rôle politique important d'autant qu'à partir de la Guerre de Sept
Ans il fut totalement intégré à la diplomatie française d'abord par le biais du Secret du Roi
puis plus ouvertement par la direction que Choiseul et Vergennes exercèrent sur lui. Petite
Cour de province république conventuelle élective des nobles de tous âges et de toutes
nationalités s'y entassaient exaspérant leurs ambitions et exacerbant leurs passions avec les
Maltais pour spectateurs. Boyer trublion patenté se fit rapporteur de ragots pour gagner
quelques écus d'un grand seigneur français dignitaire de l'Ordre le bailli de Breteuil alors
ambassadeur de la Religion de Malte à Rome et qui songeait à se porter candidat au magistère.
Grâce à lui on voit l'Ordre et la vie de Malte par le petit bout de la lorgnette. Il notait
tout d'un style bref sans fioritures littéraires mais il livrait une mine d'anecdotes qu'il
convient de lire en ne succombant pas aux déformations que ses haines et ses inimitiés
imposèrent à la vérité. Témoin important - il était Secrétaire du Pilier de la Langue
d'Allemagne qui deviendra le dernier Grand Maître - il connaissait tous les secrets et en bon
informateur il ne manqua jamais d'en révéler un. Pour déplaisant que soit le procédé l'abbé
Boyer est pour tout historien et pour tout curieux de la vie de l'Ordre l'équivalent de ces
corbeilles à papier d'où l'on tire mille fois plus d'informations que d'un rapport officiel.